23 mars 2018

Lobbying Academy : les formations professionnelles made in Medef

Au Medef, on vient de créer une "Academy" pour former ses dirigeants territoriaux et régionaux aux techniques de lobbying auprès des élus, des médias et des réseaux sociaux. De la politique ? non, de la formation de militants lobbyistes.
 
 
Pierre Gattaz l'a répété lors de la dernière campagne présidentielle : "je ne fais pas de politique". Si cette déclaration a pu, à juste titre faire sourire puisqu'il ajoutait dans la même interview : "Mais je constate que François Fillon a mis l'entreprise au cœur de son programme ..." Donc, le Medef ne fait pas de politique ...

Toutefois, la visite du site du Medef propose un programme de formations qui n'est pas innocent en la matière. On découvre en se connectant sur le site une rubrique "formation professionnelle" sous titrée "Lancement de l’Academy by MEDEF : La formation des militants de l’entreprise"

Que propose cette formation ?

Extrait : "Academy by MEDEF est le nouveau programme de formations lancé en mars 2018 par le MEDEF, pour permettre à tous ceux, entrepreneurs engagés, mandataires, collaborateurs des organisations professionnelles, qui défendent l’entreprise et portent ses valeurs, d’être plus efficaces et de faire gagner les idées du monde entrepreneurial" En bas de page, on découvre un lien vers un document beaucoup plus édifiant que la courte présentation de la page d'accueil.

A qui s'adressent ces "formations professionnelles" ?

"Présidents des MEDEF territoriaux et régionaux et de fédérations professionnelles, mandataires, présidents et membres de commissions, référents économiques ainsi que les délégué généraux et leurs équipes des Medef territoriaux et régionaux et des fédérations professionnelles"

Et qu'y apprend t-on ? La formation est proposée par modules et on y trouve, entre autre : 

Politique

"Visites immersives au Sénat et à l'Assemblée nationale.
Deux   visites   distinctes   pour   un   programme-découverte   exceptionnel   au   cœur   des   deux  chambres   du   parlement   français.   Participation   aux  temps  forts  des  commissions  économiques  et rencontre avec les acteurs parlementaires
"

Médias

"L'atelier média : travailler sa relation avec les médias.
Une  plongée  au  cœur  de  la  rédaction  du  média  l’Opinion, le  quotidien  national  dirigé  par  Nicolas  Beytout,  pour  mieux  comprendre  les  enjeux  des  médias et identifier les points clés  d’une  relation  efficace avec les journalistes
"

Les réseaux sociaux

"L'atelier réseaux sociaux : maîtriser ces outils d'influence.
Les   médias   sociaux   ont   révolutionné   l’accès   à   l’information   et   les   façons  
de   communiquer.   Cet   atelier,   réalisé   chez   Linkedin,   premier   réseau   social   professionnel   mondial,   propose   de   s’approprier   ces   nouveaux   modes   de   communication, d’en comprendre les usages pour partager et diffuser efficacement nos messages
"

A quel endroit se passent ces formations professionnelles ?

Aix-en-Provence à thecamp. Description: "Au cœur de 7 hectares de nature, à la lisière d’Aix-en-Provence et Marseille, les 10 000m2 de bâtiments futuristes dessinés par l’architecte Corinne Vezzoni renvoient aux campements nomades pour leur versatilité et leur symbiose avec l’environnement" nous apprend thecamp. voir description complète de thecamp

Un regret, toutefois, nulle indication de prix sur le document. Mais parler de prix pour une formation professionnelle où l'on apprend à domestiquer les médias, à influencer les parlementaires et distiller la bonne parole du Medef sur les réseaux sociaux, ce serait une faute de goût ...


21 mars 2018

Contrôle des chômeurs : les seniors premières victimes ?

Le gouvernement a décidé de mettre en place son opération de contrôle/sanction vis à vis des chômeurs. Les seniors qui sont les plus en difficulté pour retrouver un emploi seront-ils les premiers impactés ?

Tous ceux qui sont passé par Pôle Emploi après un licenciement savent qu'une fois le rituel des documents à enregistrer, la question du conseiller tombe : "Quel est votre projet ?" Si la tentation est forte de répondre : "trouver un travail rigolo", on se contente de balbutier "je ne sais pas encore ...". Si cette question peut éventuellement avoir un sens lorsqu'on a de 30 à 40 ans, elle est terrifiante lorsqu'on à 51, 54 ou 56 ans.


Terrifiante car on sait que c'est surtout dans cette tranche d'âge que les entreprises taillent dans les effectifs. On sait que les ruptures conventionnelles ont permis aux entreprises de se séparer à moindre coût de leurs salariés âgés. En résumé, des pré retraites déguisées et indemnisées par l'UNEDIC.

La nouvelle rupture conventionnelle collective va dans le même sens comme l'expliquait La Tribune. Extraits : " ... le constructeur automobile PSA a annoncé officiellement la suppression de 2.200 emplois, dont 1.300 en rupture conventionnelle collective (et 900 dispenses d'activité pour les seniors) ... Remplacer les seniors par des jeunes, c'est l'une des critiques adressées à la RCC, malgré le contrôle de l'administration prévu sur les discriminations liées à l'âge, le dispositif peut être un dispositif « avantageux » pour les entreprises qui veulent collectivement renouveler le « savoir-faire de leurs salariés ..."

Ajoutons à cela une "douceur" mise en place par la convention d'assurance chômage 2017-2020 qui modifie le nombre de mois d'indemnisation en fonction de l'âge du chômeur. Si les conditions avant le 1er novembre 2017 était les suivantes : 3 ans maximum d’indemnisation pour celles et ceux âgés de 50 à 62 ans qui ont une durée d’emploi de plus de 3 ans. Depuis le 1er novembre c'est : 24 mois d'indemnisation ou 730 jours pour les demandeurs d’emploi âgés de 50 à 52 ans inclus (soit avant 53 ans) à la date de fin de leur contrat de travail. Source L'Humanité.

C'est dans ce contexte où le retour à l'emploi de seniors est de plus en plus difficile que le gouvernement va activer son contrôle des chômeurs. Or, ne nous voilons pas la face, très peu d'entreprises acceptent de recruter un chômeur ayant dépassé la cinquantaine. Et même si la ministre du travail claironne qu'une bonne formation ... et ça repart, il faut être bien naïf pour croire à cette légende. En fait, les seniors sont recalés pour des raisons qui relèvent de la discrimination. Paroles d'employeurs entendues par votre serviteur : "Ils ne tiennent pas le rythme ... pas assez malléables ... inadaptables ... râleurs ... trop chers ..." et pour couronner le tout, ce "chef d’œuvre" : "à cette âge là, il faut s'attendre à des maladies qui vont plomber le fonctionnement de la boîte"

Que va t-il se passer pour ces seniors lorsque les contrôleurs de la ministre vont s'occuper de leur cas alors que les conseillers de Pôle Emploi submergé de dossiers n'ont rien à leur proposer ? Leur faudra t-il aller mendier des coups de tampons dans n'importe quelle entreprise pour ne pas risquer une radiation temporaire ? Seront-ils comme l'expliquait La Dépêche orientés vers des stages pré emploi seniors dont l'issue est plus qu'hypothétique ?

Quant aux organisations patronales, on peu constater avec quel cynisme elles traitent le sujet. Exemple : Le forum emploi Seniors du 7 mars pour lequel elle déclare la main sur le coeur : "...Favoriser le recrutement des seniors. Informer les entreprises et les salariés seniors. Faire évoluer les mentalités ..." Evolution des mentalités ? Capital nous donnait le 1er mars, la vision du Medef sur l'accompagnement de ces chômeurs : "... le Medef propose de revoir leur durée d’indemnisation, notamment en fonction des besoins en formation. Ainsi, au lieu d’une durée actuelle d’indemnisation pouvant aller jusqu’à 36 mois à partir de 50 ans, l’organisation patronale propose une indemnisation évolutive suivant l’âge ..."

Pas de chance pour eux, car s'ils avaient été des "premiers de cordée" ou de "géniaux" créateurs de startup, le Président, ses ministres et les organisations patronales auraient eu des paroles réconfortantes et encourageantes. Dans l'immédiat, ils devront se contenter d'un peu plus d'angoisse au quotidien...

Crédit et Copyright illustration 

19 mars 2018

Chômage : demain tous précaires ou radiés ?

Le constat du gouvernement et de sa majorité est le suivant : les chômeurs sont des indélicats qui préfèrent, par leur insouciance plomber la timide reprise économique. Pour les transformer en "premiers de cordée", Pôle Emploi dont les conseillers croulent sous le nombre de dossiers à traiter va intégrer encore plus de contrôleurs. 


Notre Président et son gouvernement ont décidé de régler le problème du chômage de masse par la pire des façons : Expliquer que les chômeurs ne s'investissent pas dans leurs recherches alors que nombre d'emplois ne trouvent pas de candidats. Bien que prônant une nouvelle gouvernance, nos dirigeants ne font, une fois de plus, que recycler les idées de Nicolas Sarkozy et de Xavier Bertrand sur les "fameux" emplois non pourvus et les offres raisonnables d'emploi.

Que sait on des futures mesures concernant les chômeurs ? 

Selon Le Monde :  "La ministre veut aussi remodeler la notion d’« offre raisonnable » d’emploi, qu’un demandeur d’emploi ne peut refuser plus d’une fois sous peine d’être radié pour deux mois. L’« offre raisonnable » est déjà définie très précisément dans le code du travail. Dans les faits, cette loi, adoptée en 2008, n’est quasi pas appliquée, puisqu’en 2013 77 chômeurs ont été radiés pour ce motif, soit 0,01 % des 544 000 radiations totales. Muriel Pénicaud veut la rendre « pleinement applicable », dans un contexte de reprise où certaines entreprises ont des difficultés à recruter

Nous y voila ! Outre que les radiations temporaires ou définitives permettront d'améliorer les statistiques, il est question de fournir de la main d’œuvre à des entreprises ayant des "difficultés à recruter". 

De quels secteurs parle t-on ? de quels types de contrat ? de contrats de quelle durée ? 

S'ils s'agit de secteurs de pointe, il est évident que le temps nécessaire pour former les chômeurs ne permettra pas une embauche rapide. Pour tous les autres, ne paye t-on pas le fait que depuis des années les entreprises ont négligé voir abandonné toute politique de formation interne ? Aujourd'hui, on veut recruter exclusivement des gens bien formés et immédiatement opérationnels ! Ce que confirmait Le Figaro commentant une étude INSEE : "L'absence de main-d'œuvre compétente est le premier frein à l'embauche" En résumé, la formation que les entreprises n'assument plus assez ou plus du tout, c'est à l'Etat de s'en occuper puisque pour l'instant, les entreprises se pillent entre elles le personnel compétent. 

On est en droit de s'interroger aussi sur le niveau des salaires et les conditions de travail de certains secteurs d'activité qui peinent à recruter. Premier à se plaindre périodiquement, l'hôtellerie et la restauration. 

La lecture du billet d'un professionnel sur le site BlogResto apporte un certain nombre de réponses Extraits : "Pour la majorité des salariés (63 %), si les entreprises du secteur ont du mal à recruter, c'est parce que les salaires sont trop faibles .... les heures supplémentaires non payées (51 %) ... Pour preuve, je corrigeais les BTS à Toulouse, il y a 4 ans maintenant. Un des professeurs me confiait que dans certaines sections il y avait jusqu’à 50% d’abandon 3 ans après l’obtention du diplôme ...

Que dire des services à la personne qui seraient un "gisement" d'emplois non pourvus, pourquoi ne trouvent-elles pas de candidats ? 

 La République du Centre nous en donne quelques raisons dans un article de février 2018 : "seuls 10 % des salariés à domicile travaillent à temps complet. Du coup, sur un an, leur rémunération médiane est de 6.130 €/an ..." 

Quant aux CDD d'une durée de moins d'un mois, ils pullulent sur les sites d'emploi et ne peuvent en aucun cas sortir quelqu'un du chômage.  J'invite d'ailleurs les économistes et politiques qui prétendent le contraire à les occuper avant de les promouvoir.

C'est donc pour pallier aux demandes d'un certain nombre de ces "métiers en tension" précaires ou mal rémunérés que le gouvernement a décidé de recruter des "équipes chargées de vérifier que les demandeurs d’emploi cherchent activement du travail" celle-ci : "seront portées de 200 à 600 agents d’ici à la fin de l’année". Source Reuters  Equipes qui pourront, en cas de refus, radier temporairement les chômeurs.

Provocation, cynisme ou totale méconnaissance du monde du travail ? En ce qui concerne la logique actuelle du gouvernement, on serait tenté de dire les trois mon capitaine. Car, le nombre de vrais tricheurs est marginal. Selon Pôle emploi, cela représente seulement 0,4% des cas"  

Suivant votre logique, doit-on, Monsieur le Président, mesdames et messieurs du gouvernement et élus de la nation tous vous brocarder pour les malversations de certains des vôtres ? 

Le chômage est un traumatisme que j'ai connu et dont on met, en fonction de sa durée, plus ou moins longtemps à se remettre. Ajouter l'humiliation de contrôles à celle de la difficulté de trouver un nouvel emploi est purement scandaleux lorsqu'on connaît le manque de conseillers dédiés à la recherche d'emploi chez Pôle Emploi. 

Néanmoins, ce durcissement vis à vis des chômeurs n'est semble t-il qu'une étape avant le "big bang" de l'emploi. Rappelez-vous ce qu' écrivait Jacques Attali qui fut un des mentors de notre Président : "Le statut de demain, c’est celui d’intermittent du spectacle". Il n'est donc pas surprenant que vendredi dernier Le Monde évoquait l'une des pistes du gouvernement sur l'avenir de L'UNEDIC : "l'une des pistes à l'étude consistait à instaurer un système assez proche de celui qui prévaut pour le régime des intermittents du spectacle." De quoi permettre au gouvernement de revendiquer à terme le plein emploi grâce à une précarité totale ...

Illustration : Charb