09 janvier 2013

Compétitivité :" Les profits d’hier n’ont pas été les investissements d’aujourd’hui "

" La dégradation du taux de marge et du potentiel de croissance de l’économie n’est pas due à des salaires directs ou indirects excessifs " explique preuves à l'appui, Liêm Hoang-Ngoc, économiste, Maître de conférences à l’Université de Paris I. Par contre, le Medef et ses "experts" aimera bien nous le faire croire !

Si on écoute un tant soi peu Laurence Parisot ou sa garde rapprochée, la situation actuelle des entreprises n'est due qu'aux 35H00, au manque de flexibilité des salariés et, bien entendu aux salaires trop élevés, face à la concurrence internationale. Salaires qui sont très souvent désignés comme étant les premiers responsables de la dégradation des marges des entreprises françaises.

Cette dernière accusation restée longtemps sans réponse est démontée pièce par pièce par Liêm Hoang-Ngoc, économiste, membre du bureau national du PS et député européen dans une tribune qu'il a publiée le 8 janvier dans Le Monde

Selon Liêm Hoang-Ngoc, on nous vend toujours le même argument : " (...) Lestées par un coût du travail trop élevé, les entreprises ne dégageraient pas suffisamment de marges d’autofinancement pour engager les investissements nécessaires afin de réorienter l’offre sur une trajectoire hors coût à l’allemande. La restauration des marges d’aujourd’hui serait donc les investissements de demain et la compétitivité hors coût d’après demain (...) "

Or, ce n'est pas le coût du travail qui est le premier critère mais l'augmentation des dividendes au détriment de l'investissement

" (...) que nous enseigne l’analyse de l’évolution récente du taux de marge en France ? (...) une part croissante des bénéfices fut redistribuée, au détriment de l’investissement, sous forme de dividendes. Les profits d’hier n’ont pas été les investissements d’aujourd’hui (...) "

On pourra lire à ce sujet un article publié en novembre 2008 par Michel Husson qui écrivait : " (...) la part des salaires a baissé et celle des profits a donc augmenté. Mais les entreprises ne se sont pas servies de cette manne pour investir plus. Comparant la périodes 2000-2006 aux deux décennies précédentes précédentes, un rapport de l'ONU montre que dans un grand nombre de pays, dont la France, le taux d'investissement a baissé en dépit de l'augmentation de la part des profits dans la valeur ajoutée (...) "

Ce qui est confirmé dans autre article publié en mai 2010 : " (...) Pendant ce temps les revenus nets distribués par les sociétés non financières (pour l’essentiel des dividendes) continuent leur ascension, en dépit de la crise (...)
En 2009, les entreprises consacrent donc plus de 8 % de leur valeur ajoutée aux actionnaires contre 3 % au début des années 1980
Si on prend l’excédent brut d’exploitation (EBE) comme référence, c’est près de 28 % du profit qui va aux actionnaires (13 % au début des années 1980). L’année 2009 est en quelque sorte un rattrapage du creux de 2008, et cela malgré la baisse relative du taux de marge
(...) "

De la légende du coût du travail "assassin" à la réalité de l'insuffisance de demande 

La légende : " (...) Selon l’interprétation la plus courante, le taux de marge aurait baissé à cause de l’augmentation du coût unitaire du travail (calculé en tenant compte de la productivité). Cela plomberait donc l’incitation à investir et, par voie de conséquence, la compétitivité et serait la cause de la dégradation du solde extérieur, en dehors de l’impact exercé par la hausse du prix des importations de matières premières. Pour restaurer la compétitivité, il suffirait donc de réduire le coût du travail afin de restaurer le taux de marge et rendre l’investissement profitable. Plus le choc est important (20 milliards selon Gallois), plus l’effet serait spectaculaire (...) "

La réalité : " (...) La dégradation du taux de marge et du potentiel de croissance de l’économie n’est pas due à des salaires directs ou indirects excessifs (leur progression ayant été contenue, sous la « pression exercée par le chômage » dans les négociations sociales). La baisse du taux de marge est avant tout est liée à une dégradation de la demande. La conjoncture, devenue morose à partir de 2008, a en effet amenuisé les carnets de commandes des entreprises, qui ont donc réduit leurs ventes. Leur production fut donc moins forte, sans que les entreprises n’ajustent immédiatement l’emploi à la baisse. La productivité a donc mécaniquement baissé. Le coût unitaire de la main d’œuvre a donc augmenté et, symétriquement, le taux de marge a diminué (...) "

Les entreprises utiliseront-elles le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi pour investir ?

" (...) La contraction des carnets de commandes a en effet provoqué une baisse du taux d’utilisation des capacités de production, qui se situe à son plus bas historique. Dans ce contexte, les entreprises n’ont aucune raison d’investir (...), même en présence d’une baisse du coût du travail. Elles ont d’ores et déjà tendance à déclasser leur stock de capital inutilisé et à « ajuster » leur main d’œuvre (...) "

Ce qui ne fait que confirmer les propos de Laurence Parisot qui, lorsqu'elle réclamait une baisse des cotisations sociales des entreprises, en octobre 2012, refusait la moindre contrepartie, y compris d'investissement : « (...) l'entreprise pourra profiter des baisses de cotisations pour baisser son prix hors taxes, investir, augmenter les salaires... ou conserver sa marge. Pas question de négocier des engagements (...) Il faut laisser la liberté d'utiliser les marges de manoeuvre »

Peux t-on être plus clair ?

Ce qui amène Liêm Hoang-Ngoc à conclure que contrairement au fait qu'aucune contrepartie n'a été demandée aux entreprises pour bénéficier du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), il va falloir : " (...) tôt ou tard conditionner l’octroi du CICE aux entreprises à des décisions d’investissement, dès lors que la relation causale allant du taux de marge à l’investissement n’est pas avérée (...) "

Faute de quoi, une fois de plus, dans quelques années, on ne pourra que constater que  : " Les profits d’hier n’ont pas été les investissements d’aujourd’hui ".  Ce qui n'empêchera certainement pas le successeur de Laurence Parisot au Medef d'essayer de nous démontrer le contraire !

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08 janvier 2013

Négociations emploi : Accepterez-vous la « flexibilité pour tous » voulue par le Medef ?

D'accord historique, en termes de négociations sur l'emploi, sauf coup de théâtre de dernière minute, il n'y aura pas. Il faut dire que le Medef avait dès le début plombé la négociation en exigeant la flexibilité maximale pour tous.


Slovar les Nouvelles vous a expliqué au fil de ces dernières semaines, comment le Medef s'était ingénié à plomber les négociations sur l'emploi. Après le premier constat d'échec, en décembre 2012, on s'achemine vers la fin du compromis historique souhaité par François Hollande. Car, il est clair comme nous l'écrivions que Laurence Parisot souhaite maintenant mettre la pression sur le gouvernement et sur les parlementaires en les soumettant au chantage à l'emploi ou au licenciement.

Cette tactique est méprisable dans la mesure où cela fait des années que le Medef souhaite remplacer le législateur par le dialogue entre partenaires sociaux. Sauf que pour le Medef, le dialogue social se résume à ... un monologue ! 

Une des raisons étant que traditionnellement, les grandes négociations se déroulent au siège du Medef, autour, comme le révélait le site Atlantico, de ses propositions, toutes plus outrancières les unes que les autres. Le jeu consistant, pour les syndicats, d'essayer d'obtenir un adoucissement plus ou moins prononcé de celles-ci.

Or, cette fois-ci, le Medef, s'appuyant sur un taux de chômage record, a décidé de placer la barre très haut,  puisqu'il exige la mise en place : d'une flexibilité généralisée, de la capacité de licencier plus facilement et à moindre coût et de la suppression de la voie judiciaire en cas de plan social injustifié. Le tout, sans quasiment aucune contre partie. 

Son argument ? : Fluidifier le marché du travail. En clair, si on rendait les licenciement plus simples et moins onéreux cela améliorerait l'embauche !

Quelle sont les réactions des organisations syndicales ?

Du côté de la CGT et de FO, on est parfaitement clair : « Les secrétaires généraux de la CGT et de Force ouvrière (FO) ont confirmé mardi que leurs organisations ne signeraient pas un accord sur la réforme du marché du travail si le patronat maintenait ses exigences en matière de flexibilité (...) » Lire aussi le communiqué sur le site de la CGT qui appelle à manifester devant le siège du Medef.

Qu'en est-il des autres organisations ?

A la CFDT, on continue d'y croire, sans trop d'illusions, toutefois : « (...)  L’objectif est de trouver un compromis qui fasse avancer les droits des salariés et notamment des plus précaires. » (...)  En clair, l’heure n’est plus aux manœuvres dilatoires.  « Le 10 et 11 janvier constitueront le dernier round de négociation, prévient le chef de file de la délégation. Le patronat porte désormais l’entière responsabilité d’un éventuel échec. Il doit être conscient qu’après le 11, la balle sera dans le camp du gouvernement. » À bon entendeur… »

A la CGC si on montrait les dents, on se targuait d'avoir obtenu des avancées  : « (...) ou l’art patronal de freiner une négociation qui avançait vers le consensus ! Est-ce bien digne de l’urgence à relever le marché du travail de la chute où les plans sociaux successifs l’entraînent ? Cependant, la CFE-CGC a obtenu quelques avancées : un compte personnel de formation tout au long de la vie et un droit à la mobilité temporaire plutôt bien encadré...mais les enjeux sont tels que ces propositions pèsent bien peu face aux demandes réaffirmées du MEDEF de libéralisation maximale des procédures de licenciements, face à une « barémisation » indécente des indemnités et dommages et intérêt ! »

Quant à la CFTC qui ne sait toujours pas si elle pourra continuer à exister par manque de représentativité, on se persuadait d'être efficace : « (...) Même si rien de concret n’a été acté sur la lutte contre la précarité de l’emploi, les employeurs qui se montraient si inflexibles n’ont pas été totalement insensibles aux revendications des organisations syndicales exprimées les semaines précédentes. “On sent du côté du patronat plus d’ouverture, notamment sur les contrats précaires (...) »

Or, la lecture d'un communiqué du MUNCI, association professionnelle qui fédère en France les membres salariés indépendants et demandeurs d’emploi des professions informatique et des métiers du numérique, publié le 18 décembre 2012 et mis à jour le 6 janvier 2013, on apprenait que : 

« (...) Sans rien à redire, plusieurs syndicats (la CFDT, la CFTC et peut-être aussi la CFE-CGC ) sont sur le point de valider deux propositions du patronat particulièrement dangereuses pour les travailleurs : une extension du "contrat de travail intermittent" aux entreprises de -50 salariés et à de nouveaux secteurs, et surtout la création d’un "contrat de projet à durée indéterminée" (une vieille revendication du patronat jusqu’ici toujours rejetée par les syndicats de salariés). Les maigres compensations offertes en retour par le patronat sont sans commune mesure avec la PRÉCARITÉ MAXIMUM qui concernera potentiellement des MILLIONS DE SALARIÉS TRAVAILLANT EN MODE PROJET (tels que les prestataires de services), sans compter la CONCURRENCE ABUSIVE que ces contrats pourra engendrer vis à vis des CENTAINES DE MILLIERS de PROFESSIONNELS AUTONOMES (indépendants, portage salarial) qui ont fait le choix d’une FLEXIBILITÉ ASSUMÉE en contrepartie de revenus nettement plus élevés en période d’activité. Par esprit de compromission, ces syndicats vont-ils "sacrifier" de nombreux travailleurs pour tenter d’obtenir un accord "globalement équilibré" avec le patronat ?Le MUNCI entend combattre RADICALEMENT cette nouvelle flexibilité dans nos professions (…) et met en garde les syndicats de salariés contre un détournement durable et profond des travailleurs à leur égard…»

Information qu'apprécieront certainement l'ensemble des salariés et les adhérents à ces syndicats avides d'accords à tout prix ! Néanmoins, il faudra attendre le 11 janvier pour connaître la position officielle de ces syndicats.

En cas d'échec constaté, il reviendra au gouvernement et au parlement de faire les arbitrages entre les demandes de flexibilité et de sécurisation de millions de salariés. 

Imposeront-ils,  en contrepartie d'un assouplissement des conditions de licenciements et de généralisation d'accords compétitivité-emploi (qui faisaient partie du programme économique et social de l'ancienne majorité) ?  :

L'obligation d'une participation de toutes les entreprises à une complémentaire de santé ?
Une taxation des abus de CDD de courte durée ?
Des droits rechargeables pour ceux qui alternent période de chômage et d'emploi ?

Qui toutefois, comme l'écrit Gérard Filoche : « (...) sont tous petits et limités, sinon marginaux, en regard de ce que le Medef met dans la balance en face d’eux. Il n’y a rien de « gagnant-gagnant » là dedans ! Une taxe pour les contrats courts, qu’est-ce à côté du droit fondamental de licencier sans motif ? Qu’est ce qu’une « complémentaire » santé à charge des salariés, à coté de l’acceptation de pactes de compétitivité baissant les salaires, allongeant les durées du travail et augmentant le nombre de chômeurs ? (...) »

Aujourd'hui, nul ne le sait. Par contre, ce que tout le monde sait, c'est que le Medef vient de mettre fin à l'illusion du dialogue entre partenaires sociaux et faire naître chez tous les salariés une colère qui ne sera plus canalisable à court terme par les syndicats. D'autant que si l'assouplissement des conditions de licenciements et de travail devaient être avalisée, ce seraient des milliers de salariés en plus qui devraient se retrouver au chômage pendant que ceux qui ont encore un emploi seraient fragilisés par des contrats de travail à caractère précaire !

Réhabiliter la lutte des classes en guise de compétitivité, il fallait y penser. Laurence Parisot pourra se vanter de l'avoir fait !