Selon Maurad Rabhi, en charge à la CGT des questions d’emploi et du chômage, l'accord sur l'emploi négocié entre les organisations patronales et certains syndicats est particulièrement déséquilibré. Nous lui avons proposé de nous en donner les raisons, ce qu'il a accepté de faire, en exclusivité, sur Slovar les Nouvelles.
Slovar: Maurad, vous étiez l'un des négociateurs de la CGT lors du marathon de la négociation sur la réforme du marché du travail. De très nombreux observateurs ont indiqué que l'accord final est équilibré. Il n'y aurait finalement que des gagnants ?
Maurad Rabhi : Les patrons sont les grands gagnants de cette négociation. Les salariés dans leur grande majorité n'ont pas encore pris la mesure rélle de la portée de l’accord du 11 janvier 2013. Et pourtant, ce texte présenté comme une nouvelle phase de « flexisécurité » constitue, en vérité, la régression la plus importante qu’ont eu à connaître les droits des salariés depuis les années 1980.
Slovar : Les "experts" qui ont commenté positivement le texte auraient-ils été partiaux ?
MR : En ce qui concerne la presse, la quasi totalité s'est focalisée sur les hypothétiques nouveaux droits auxquels les salariés pourraient prétendre sans s'interroger sur les effets pervers de certaines propositions. Ainsi, on a parlé de formation, de complémentaire santé, de temps partiel, de droits rechargeables pour les chômeurs. Dont les modalités et le délai de mise en oeuvre sont particulièrement flous. Mais j'y reviendrai.
Quant à la taxation des contrats courts, elle a servi de leurre tout au long de la négociation pour mieux détourner l’attention de l’opinion sur les aspects de flexibilité ou de sécurité juridique que le patronat réclamait pour son propre compte.
Slovar : Oui, mais, la formation, les complémentaires santé, le temps partiel, et les droits rechargeables pour les chômeurs ont bien été inclus dans le texte final ?
J'ai dit que j'y reviendrais. Alors, analysons précisément les "nouveaux" droits inclus dans l'accord.
Mise en place du compte personnel de formation : Sorte de serpent de mer, on en parle depuis des années. Elle reste conditionnée à un accord tripartite (Etat, Région et partenaires sociaux). Ce qui vous l'avouerez est d'une grande lourdeur face au problème. Néanmoins, on ignore tout de ses modalités de financement !
La complémentaire santé pour les salariés qui en sont dépourvus peut-être considérée comme une avancée (même si elle est payée pour moitié par le salarié). Néanmoins, il faut que les salariés sachent qu'elle n’entrera en vigueur qu’en 2016 ! En outre, il faudra que les conditions soient réunies dans l'entreprise pour que les contrats de complémentaire santé soient appliqués.
Les droits rechargeables pour les chômeurs devront être financés à coût constant par le budget de l’Unedic. Rien n’a été arrêté sur le paramétrage des droits rechargeables. La prochaine convention d’assurance-chômage devra définir la durée des droits, le taux d’indemnisation et la période que l’on retient pour calculer les droits rechargeables. Ce qui est sûr, c’est que le Medef propose en contrepartie, pour ne pas grever le déficit, de remettre en place la dégressivité de l’allocation pour tous les demandeurs d’emploi ou alors de baisser le niveau des allocations de 10 à 15 % pour tous. Enfin, autre proposition, c’est de diminuer la durée des droits pour tous. Autrement dit, cela signifie qu’on déshabille Paul pour habiller Jacques.
En ce qui concerne la taxation des contrats courts revendiquée de longue date par la Cgt, l'accord « oublie » les intérimaires, les saisonniers et les CDD supérieurs à 3 mois. Cerise sur le gâteau, cette mesure au total rapportera au patronat plus d’argent qu’elle ne lui en coûte avec la contrepartie relative à l’exonération des cotisations pour l’embauche d’un jeune de moins de 26 ans.
Slovar : Maintenant que nous avons vu le côté "sécurisation" de l'accord, passons, si vous voulez bien du volet "flexibilité ?
MR : Tout d'abord, sachez que si les mesures présentées en faveur des salariés ou des demandeurs d’emploi sont hypothétiques ou renvoyées à plus tard, les mesures de flexibilité au profit des employeurs sont bien réelles et d’application immédiate.
Mesure-t-on la gravité des nouvelles dispositions relatives aux procédures de licenciement encadrées et sécurisées juridiquement à la main du patronat, qui pourra engager des restructurations y compris quand l’entreprise est en bonne santé financière ?
Slovar : C'est à dire ?
MR : Premièrement : La réduction drastique des délais de la procédure (entre 2 et 4 mois) interdira, en pratique, aux représentants des salariés de discuter du fondement économique des licenciements et d’élaborer des solutions alternatives. Les négociations risquent donc de ne porter que sur le volet social du plan de sauvegarde à l’emploi et la stratégie de l’entreprise est validée dans tous les cas de figure.
Deuxièmement : Mesure-t-on les conséquences d’une mobilité forcée pour les salariés ? Ils ne pourront plus contester les propositions patronales, même si elles ne sont pas conformes aux clauses de leur contrat de travail. Un refus vaudra licenciement pour motif personnel (et non plus économique), donc sans mesure d’accompagnement possible.
Troisièmement : Mesure-t-on les conséquences des accords dits « de maintien dans l’emploi » qui ressemblent furieusement aux accords "compétitivité-emploi" proposés par le Medef sous l'ancienne présidence de la République et, dont on voit actuellement ce qu’ils signifient, par exemple, chez Renault ?
Non seulement les garanties en matière d’emploi seront toujours sujettes à caution, mais le chantage exercé en toute impunité par les employeurs leur permettra de réduire les salaires ou d’augmenter la durée du travail pour améliorer les marges financières des entreprises. Les salariés qui refuseront seront licenciés pour un motif qui s’apparente à un licenciement économique, mais l’entreprise sera dispensée de toutes les obligations sociales du plan de sauvegarde à l’emploi (formation, reclassement, revitalisation du bassin d’emploi, priorité de réembauche, etc…).
Quatrièmement : Mesure-t-on ce que signifie l’immunité judiciaire offerte aux employeurs ?
Les voies de recours des salariés pour contester les décisions patronales sont réduites et les sanctions aussi. On glisse ainsi du lien de subordination du salarié à l’employeur vers un lien de ... soumission !
Les conséquences de cet accord pour les salariés ont été manifestement sous-évaluées. Elles se révèleront malheureusement avec le temps. Le compromis issu de cette négociation est trop déséquilibré en faveur du patronat. On est loin d’un dialogue social constructif où les intérêts des uns et des autres sont pris en compte.
Slovar : Oui, mais l'accord ayant été signé conjointement par les organisations patronales et par la CFDT, la CFECGC et la CFTC, il devrait selon toute logique s'appliquer ?
MR : Il faut d’abord savoir que si l’on avait utilisé les nouvelles règles de représentativité qui entreront en application dès le mois de juillet, l’accord serait minoritaire car la CFTC ne sera plus représentative sur le plan interprofessionnel et la CGC deviendra un syndicat catégoriel. Il faut tout d'abord que le Parlement donne son avis. C’est pourquoi il doit modifier le texte pour le remettre en conformité avec son intitulé et avec la propre feuille de route du gouvernement. Cet accord est en deçà du plancher légal existant sur beaucoup de points, il n’est pas possible que ce gouvernement entérine de tels reculs sociaux.
Slovar : Merci Maurad Rabhi
Maurad Rabhi est secrétaire général de la fédération Thc Cgt, Membre de la direction confédérale en charge des questions d’emploi et du chômage.