23 novembre 2009

Sanctions contre les employeurs de clandestins : Volonté politique ou écran de fumée ?

Avez-vous, une seule fois entendu, depuis l'élection de 2007, un ministre ou membre de la majorité présidentielle, s'exprimer publiquement sur les sanctions applicables aux employeurs de clandestins ?

Nous nous souvenons, par contre d'une des mesures imaginées par Nicolas Sarkozy en 2009, pour aider nos agriculteurs.

Ainsi, un "conseiller agricole de l’Élysée a suggéré aux producteurs français de légumes « de faire venir des intérimaires polonais aux conditions du pays d’origine » pour travailler dans les champs de légumes et dans les serres de l’Hexagone" Une bonne façon, sommes toutes, d'officialiser le travail clandestin et la précarité organisée ! - Source L'Humanité

D'autres, se souviennent certainement qu'en 2008, on avait découvert que des employés des cuisines d'un restaurant situé à Neuilly, sur l'île de la Jatte (qui était une des cantines préférées du député maire Sarkozy) étaient des clandestins, comme l'expliquaient nos amis du Bondy Blog

"Salariés depuis des années dans ce très chic café-restaurant de l’Ile de la Jatte, des travailleurs sans-papiers, soutenus par la CGT du 92 et Droits Devant !, ont entamé samedi une grève illimitée ... / ... l’un d’eux est même là depuis 13 ans ! Ils reçoivent tous les mois une fiche de paie. A l’embauche, ils ont, affirment-ils, donné des papiers prêtés par des amis en précisant au patron qu’eux-mêmes n’en avaient pas. Tous sont formels : oui, le patron le savait. Il connaissait leur vrai nom. « Depuis dix ans pour certains, alors, vous pensez… ! » ... / ... Ils n’ont donc pas de carte Vitale. Pas même de numéro de sécu. Quand ils sont malades, ils paient en espèce, et ne se font jamais rembourser. « Et si vous avez un accident de voiture en sortant ? – On fait attention… Mais si l’un de nous doit être hospitalisé, il devra payer de sa poche. En cash" ... / ... "

Le 23 avril, tous les Maliens de Neuilly obtenaient un «papier vert», une autorisation provisoire de séjour, valable jusqu'au 8 mai. Le lendemain, ils étaient déjà aux fourneaux ...

Cette régularisation passée, nous avons connu les coups de menton et les bilans chiffrés de Brice Hortefeux puis le discours sur les passeurs et les voyages de retour en Afghanistan d'Eric Besson.

Et puis, coup de tonnerre. A quelques mois des régionales : Xavier Darcos et Eric Besson annoncent leur volonté de sanctionner les employeurs de clandestins !

Mais, au delà de l’annonce qui a "tout pour plaire", et provoquer l'opposition (qui ne peut pas se prononcer contre), plusieurs questions se posent :

- Les coupables ne vont-ils pas, encore une fois, trouver des échappatoires "circonstances atténuantes" ?
- Le gouvernement donnera t-il aux inspecteurs du travail des moyens suffisants pour effectuer leur travail ?
- Existe t-il déjà un arsenal juridique pour sanctionner les employeurs de clandestins ?

Qu'a déclaré Xavier Darcos : "... / ... S'il est avéré que l'activité de l'entreprise est construite autour du travail illégal ou de l'emploi de travailleurs étrangers sans titre de travail, on pourra fermer administrativement cette entreprise.

Les préfets auront ce nouveau pouvoir", a déclaré le ministre, qui précise qu'en cas de fermeture les employés en situation irrégulière recevront tout de même leurs indemnités. Les exonérations de charges sociales pourraient également être supprimées pour les entreprises acceptant que leurs sous-traitants emploient des sans-papiers. Le projet de loi devrait s'apparenter, selon le ministre de l'Immigration, Eric Besson, à un "arsenal complet de lutte contre les abus en la matière ... / ... " - Source Le petit Journal

Certes, mais pourquoi, justement avoir attendu novembre 2009 pour lancer ce message, alors que cette situation ne date pas d'hier ?

Pour en revenir aux employeurs de clandestins, la Tribune nous explique la situation : "Xavier Darcos est trop modeste quand il évoque, dans Le Parisien, les 28.000 contrôles effectués en 2008 par ses services à la recherche de travail illégal et dit vouloir viser "un niveau d'action plus élevé encore que dans les années passées".

Car l'Acoss, l'organisme qui diligente les contrôles (auxquels participent à la fois Urssaf, inspection du travail et police-gendarmerie), annonçait avoir effectué 39.000 contrôles en 2006, 44.000 en 2007 et 37.000 en 2008. Même en admettant que les bases statistiques diffèrent, la tendance récente serait plutôt au repli des efforts de contrôle.

Peut-être le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a-t-il, dans ce cas précis, réduit les capacités de vérification ? Ce serait dommage car les amendes pour travail illégal (qu'il s'agisse ou non d'employés sans papiers) atteignaient quand même 118 millions d'euros fin 2007, un doublement en deux ans. Raison de plus pour se ressaisir, dira-t-on.

... / ... Dans l'état actuel de la législation, une personne qui emploie un travailleur clandestin risque déjà cinq ans de prison et 15.000 euros d'amende par étranger, et les entreprises une amende de 75.000 euros, l'exclusion des marchés publics, la confiscation des outils, stocks et machines

Ajouter que le préfet pourra à l'avenir fermer une entreprise employant de la main-d'œuvre illégale n'ajoute qu'un frisson supplémentaire. A la vérité, on connaît les secteurs qui utilisent de la main-d'œuvre clandestine : le BTP, l'hôtellerie-restauration et les services de nettoyage. C'est d'ailleurs ceux où quelque 5.000 travailleurs sans papiers sont en grève depuis un mois et demi ... / ... " Source La tribune

Car : comme l'indique Viva Presse à partir de sources de la CGT :

"... / ... Le travail illégal – non déclaré, sans paiement de cotisations – est un vrai problème, bien plus large que celui de sans-papiers qui eux sont souvent déclarés et paient des impôts. Ce travail illégal coûte 60 milliards par an à l’Etat, empêche toute couverture santé ou retraite pour les salariés qui en sont victimes, et prive la Sécurité sociale d’énormes ressources. ... "

Attentif sur le sujet, Slovar a trouvé deux réactions/approches contradictoires : Celle de la CGPME et celle de Gérard Filoche, inspecteur du travail.

Que déclare la CGPME ?

Travailleurs sans papiers : pour les entreprises non plus, pas de double peine

Le travail clandestin est inadmissible tant sur un plan humain qu'économique. Il génère une distorsion de concurrence entre les entreprises et il est donc légitime de faire preuve de sévérité. Pour autant, il convient de distinguer les employeurs malhonnêtes et ceux ayant été l'objet de tromperies. Il n'appartient pas aux patrons de PME de se transformer en spécialistes des faux papiers. Toute sanction prise de manière uniforme sans tenir compte des circonstances serait forcément injuste et risquerait de constituer une double peine pour les entreprises.

Il est d'ailleurs étonnant de constater que de nombreux sans papiers paient des cotisations sociales sans que cela n'émeuve les services de l'Etat. Dès lors, il y a lieu de raisonner au cas par cas en rejetant les solutions simplistes telles que les régularisations massives, en privilégiant au contraire, la dimension humaine. - Source CGPME

La CGPME qui au passage montre son implication dans la lutte contre les discriminations au travail, en ayant lancé sur son site une pétition : "Halte aux pénalités financières ! Mobilisons-nous pour la liberté d'embauche !" pour s'opposer aux sanctions financières qui toucheront les entreprises qui n'embauchent pas de + de 50 ans ou d'handicapés.

Belle leçon de civisme !!!

Qu'en pense de son côté Gérard Filoche (sur son blog)

A propos de la prétendue fermeture administrative par les préfets (sic) des entreprises qui utilisent du travail dissimulé

Besson, Darcos prétendent lutter contre le “travail dissimulé” des “sans-papiers” ? S'ils en avaient vraiment l'intention, ils doubleraient immédiatement les effectifs de l'inspection du travail chargée de cela et ils pousseraient au suivi judiciaire de nos procès-verbaux. Avec 450 inspecteurs du travail pour ...17 millions de salariés et 1,2 million d'entreprises nous sommes moins nombreux qu'il y a un siècle.

Tous les grands majors du bâtiment ont fait leurs fortunes sur la surexploitation de sans-papiers : fermeture administrative ? Chiche !

5 700 sans papiers du bâtiment en grève : ils sont employés sans droits, sans papiers, par 1800 patrons : fermeture administrative des 1800 entreprises dont Bouygues ? Chiche !

Fermeture administrative de la RATP ? elle sous-traite à des boîtes dont elle sait qu'ils emploient des sans-papiers comme des esclaves (cf le film des salariés travaillant de nuit dans le métro). Chiche !

Fermeture administrative de milliers d'entreprises qui trichent ? 61 % des restaurants d'Ile de France ont du travail dissimulé ! Chiche !

Prétendre lutter contre le “travail dissimulé” ?

Il faut au moins doubler les effectifs de l'inspection du travail (450 inspecteurs en tout). 85 % du travail dissimulé consiste en des heures supplémentaires impayées : 9 plaintes sur 10.

"Fermeture administrative” d'entreprises qui emploient des sans-papiers par les "préfets" ? Des préfets sans inspecteur du travail ? Bluff !

Sans réguler la sous-traitance ? Bluff !

Commencez donc :

- Donnez des moyens réels à l'inspection en doublant immédiatement ses effectifs,
- Par appliquer les actuelles sanctions légales,
- Suivre les procédures judiciaires pour les faire appliquer (trois PV sur 4 de l’inspection du travail sont classés sans suite ou jugés a minima),
- Faire que les donneurs d'ordre soient pénalement, financièrement, économiquement responsables de ce qui se passe sous leurs ordres
- Réguler la sous-traitance en imposant que l’entreprise intervenante soit alignée sur la convention collective du donneur d’ordre le temps de la mission...
- Et en facilitant la reconnaissance juridique des “unités économiques et sociales” et des groupes, afin d’empêcher les externalisations artificielles, la fausse sous-traitance, et le marchandage.

Alors : Volonté politique ou écran de fumée ? A vous d'en juger ! Nous, nous avons déjà une petite idée ...

Crédit photo et image
Parlement européen

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