12 octobre 2010

Prix Nobel d'économie 2010 : La consécration de la théorie de "la faim ou du taureau"

Le Nobel d'économie 2010 vient d'être attribué à deux américains et un Britannico-chypriote pour leurs travaux sur : " la manière dont le chômage, l'emploi et les salaires peuvent être affectés par la politique économique". Principale conclusion de leur travaux : "plus les allocations chômage sont importantes, plus le taux de chômage est élevé et la durée de recherche d'emploi est longue"

A ne pas confondre avec les autres prix Nobel (chimie, physique, médecine, littérature et paix) mais : Officiellement dénommé "prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel", le Nobel d'économie est le seul, non prévu dans le testament du philanthrope suédois Alfred Nobel." - Radio Canada

Ce qui signifie qu'il serait plus juste de parler de "Prix de la Banque de Suède" que de Nobel d'économie !

Car ce prix a été lancé en 1968 par la Banque centrale de Suède pour lui rendre hommage. Il est à noter que : " ... / ... Les deux tiers des prix de la Banque de Suède ont été remis aux économistes américains de l'école de Chicago, dont les modèles mathématiques servent à spéculer sur les marchés d'actions, à l'opposé des intentions d'Alfred Nobel, qui entendait améliorer la condition humaine. " signalait Le Monde diplomatique cité par Radio Canada

Quels sont les travaux qui ont été récompensés par ce "Prix de la banque de Suède" ?

" ... / ... Les chercheurs se sont affairés à déterminer notamment ce qui fait en sorte que dans une économie, il est possible de retrouver un nombre important de chômeurs alors qu'existent de de nombreuses offres d'emploi ... / ... "

Ceci donnant lieu à une "révélation" : " ... / ... plus les allocations chômage sont importantes, plus le taux de chômage est élevé et la durée de recherche d'emploi est longue .. / ... "

Ce qui fait dire à Yannick L'Horty, professeur d'économie à Paris-Est et chercheur associé au Centre d'études de l’emploi interviewé par 20Minutes : " Quelle influence ces travaux ont-ils pu avoir sur les politiques économiques?

" ... / ... Par exemple, elles ont montré que les intermédiaires, tels que les agences pour l’emploi, jouent un rôle majeur sur le marché du travail ... / ... De même, concernant les allocations chômage, Diamond, Mortensen et Pissarides expliquent qu’elles jouent un rôle important mais ambigu: si elles sont trop généreuses, l’intensité de la recherche sera moindre, tandis que la qualité de l’emploi trouvé sera supérieure ... / ... "

En clair, pour combattre le chômage, il suffit de contraindre tous ceux qui ont perdu leur emploi à prendre n'importe quel job, y compris les plus précaires et surtout réduire à leur plus simple expression la durée et les conditions d'indemnisation ! En résumé, comme le chantait Jean Ferrat : "'il faut parfois choisir la faim ou le taureau"

Le prix Nobel d'économie vient donc récompenser une situation connue et appliquée depuis plusieurs en Grande Bretagne : " ... / ... Les chômeurs touchent une indemnité peu élevée : une cinquantaine de livres (environ 80 euros) par semaine. Ils sont suivis de près, avec contrat à l’appui. A chaque rendez-vous, ils doivent amener des preuves de leurs recherches et toute une gamme de sanctions s’échelonne, du refus de formation au mauvais comportement... / ... "

Ce qui se traduit dans les faits par des situations épouvantables
: " Dans un quartier où le taux de chômage dépasse les 40%, nombreux sont ceux qui tombent dans le piège de l’alcool, de la drogue et de la désocialisation ... / ... Les chiffres du chômage ne tiennent pas compte de ces “inaptes” au travail, trop brisés par la vie, ou bien simplement handicapés ou mères de familles trop nombreuses ... / ... " - France info

Mais, que les sceptiques se rassurent, sur la validité de ces travaux. En effet, comme l'explique Le Figaro, ils peuvent, selon le comité d'attribution du Nobel d'économie : " ... / ... être appliqués à d'autres marchés qui se caractérisent également par la non-immédiateté de la rencontre entre acheteur et vendeur, comme par exemple sur le marché de l'immobilier ... / ... " devant un raisonnement, d'une telle qualité, il serait tout à fait incongru de proposer comme réponse : " certaines dérives dans l'utilisation de la titrisation des créances immobilières aux États-Unis" comme les subprimes ...

Etonnant non ?

4 commentaires:

El Fredo a dit…

Le passage suivant m'a étonné :

Ceci donnant lieu à une "révélation" : " ... / ... plus les allocations chômage sont importantes, plus le taux de chômage est élevé et la durée de recherche d'emploi est longue .. / ... "

En effet il semble en opposition de fond avec la précédente analyse que j'avais lue chez éconoclaste ici à propos des travaux des lauréats :

Considérez par exemple l'assurance-chômage. Dans la version classique, celle-ci est nuisible et crée du chômage, au point qu'un Jacques Rueff considérait que la crise des années 30 s'expliquait par un accès de paresse des salariés, encouragé par le développement des assurances sociales. En effet, elle incite les salariés à attendre sans travailler plutôt que de reprendre un emploi. Dans la nouvelle analyse du fonctionnement du marché du travail, l'effet est beaucoup plus ambigu. Certes, l'assurance-chômage peut inciter les personnes à attendre plutôt que de prendre le premier emploi disponible. Mais cette attente peut avoir des effets positifs, parce qu'elle laisse le temps aux personnes de trouver un emploi dans lequel elles pourront mieux utiliser leurs compétences. Il vaut mieux qu'un bac+5 passe 6 mois au chômage indemnisé, le temps de trouver un emploi dans lequel il pourra donner la pleine mesure de ses capacités, plutôt qu'une organisation sociale dans laquelle il est obligé très rapidement d'aller emballer des hamburgers pour subvenir à ses besoins. Un bon système d'allocations chômage doit donc à la fois laisser aux gens le temps de trouver un bon emploi; leur fournir le plus d'informations possible pour faciliter leur recherche; et leur fournir des incitations à cesser de chercher lorsqu'ils ont trouvé un emploi dans lequel ils seront productifs. Construire des systèmes de ce type est difficile; mais c'est une réflexion infiniment plus subtile que celle que l'on voit déjà fleurir dans les commentaires des articles grand public consacrés aux Nobel de l'année, sur le thème des chômeurs fainéants que l'on paie à ne rien faire.

Donc il y a certes corrélation entre taux de chômage et niveau d'indemnisations, mais ça ne doit pas du tout inciter à baisser ces dernières, au contraire la nouvelle analyse de Diamond et ses confrères montre que la politique d'indemnisation du chômage peut et doit rester un choix de société, selon qu'on privilégie le taux d'emploi ou la qualité de ceux-ci. Et la France, qui dispose d'indemnisations généreuses, est également l'un des pays où la productivité est la plus forte. Donc loin de conforter l'idée ancienne (et prisée par les néolibéraux et l'école de Chicago) selon laquelle indemniser les chômeurs les installerait dans l'oisiveté, ces travaux font preuve d'une vision nettement plus complexe, et notamment sur le fait que le "marché" du travail est très loin de ce que pourrait être un marché idéal fondé sur l'offre et la demande.

Eric a dit…

La politique du "coup de pied au cul" ou du "donnant-donnant" pour les demandeurs d'emploi peut être valable (acceptons cette hypothèse) dans une situation où l'emploi est abondant. Par exemple aux Etats-Unis il y a quelques années.
Mais quand les gisements d'emploi manquent, on passe du chômage au non-emploi, comme l'a suggéré Robert Castel (lire ses derniers ouvrages). Et, dès lors, pour une frange de la population écartée durablement de l'emploi, les conséquences sont incalculables, même pour des prix Nobel.

Incanus a dit…

Le chômage de masse de ces dernières années aura eu un seul effet "positif" (si l'on peut dire, c'est une façon de parler, il n'est pas question d'effacer le drame qu'est le chômage pour la plupart des gens): faire réaliser à plein de gens, que le monde du travail, c'est de la merde en barre, et qu'une vie libérée des contraintes de l'entreprise (ce qui n'est pas incompatible avec le travail au sens non productiviste du terme) c'est une toute autre vie.

Les rentiers, millionnaires et autres le savent bien, mais se gardent de le clamer haut et fort. Officiellement ils ont "durement gâgner leur pécule".

Bref, beaucoup de jeunes et de moins jeunes ont de nos jours, commencés à prendre une distance irrémédiable vis à vis de la société du travail contraint. Les mentalités changent, et trop peu de gens le réalisent, mais le jour ou ca va produire des effets, certains vont avoir un réveil difficile!

Anonyme a dit…

Et l'influence sur les salaires du taux de chômage ? Est-ce que ça serait tabou, chez les économistes, que ça fait baisser les salaires ? Un emploi, oui, mais à quel prix...