14 mai 2018

Bienvenue dans le monde heureux des actionnaires du CAC40

Si travailler dur sans compter son temps pour devenir riche fait partie des belles légendes du capitalisme, le rapport d'Oxfam sur les dividendes versés aux actionnaires du CAC40 est explicite sur la façon de s'enrichir sans trop d'efforts, d'investissements ou d'innovations. 


Pendant très longtemps, la droite française soutenue par quelques économistes ultra libéraux nous ont vendu le "rêve américain" en opposition aux états providence européens. Ces derniers tuaient l'initiative et il fallait "libérer les énergies". Pour ce faire, on nous a abreuvé de beaux récits dans lesquels la classe sociale à laquelle on appartenait n'avait aucune importance si on avait du talent et du courage.

En clair, travailler dur et ne pas compter son temps permettait de devenir riche. Or, depuis quelques années, nombreux sont les experts qui nous expliquent qu'en fin de compte, américain ou pas, l’ascenseur social est une farce et que pour devenir riche ou très riche, mieux vaut avoir eu des parents ou grand parents qui ont réussi ...

Aussi, lorsque notre Président lançait : "Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires" on avait presque envie de sourire à ce remake de la belle légende. Pendant que certains continuent de la propager et quelques naïfs d'y croire, il est indispensable de lire le rapport de l'ONG Oxfam sur la rémunération des actionnaires français du CAC40.

Extraits : "Au niveau des dividendes pour les actionnaires : la France est le pays au monde où les entreprises cotées en bourse reversent la plus grande part de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires. Depuis 2009, sur 100 euros de bénéfices, les entreprises du CAC 40 ont en moyenne reversé 67,4 euros de dividendes aux actionnaires et seulement 5,3 euros sous formes de primes aux salarié-e-s"

Ce qui est à rapprocher du combat de notre Président qui affirmait en avril dernier : "On a permis qu'il y ait plus de flexibilité (dans les entreprises), on doit permettre aussi quand ça va mieux que tout le monde puisse en profiter" ce qui devrait amuser au Medef, organisation patronale à laquelle adhèrent toutes les entreprises du CAC40.

"... en 2016, les patrons du CAC 40 gagnaient en moyenne 257 fois le SMIC, et 119 fois ce que le salaire moyen au sein de leur entreprises (en 2009, cet écart était de 97). L’écart le plus important a été constaté chez Carrefour où le PDG  a perçu en 2016, 553 fois le SMIC"

Néanmoins, selon le gouvernement, ces salariés au SMIC devraient se réjouir puisque la baisse des cotisations salariales va leur permettre un gain de : "8 euros par mois dès la fin du mois, puis 22 euros à partir d'octobre. Soit un total de 138 euros en 2018 et de 264 euros en 2019 pour 12 mois de salaire, quand le dispositif aura atteint son plein régime" Quant à ceux qui touchent le salaire moyen (2500€), ils peuvent déjà commander le champagne puisqu'ils auront un gain de 228 euros par an en 2018 et 444 euros en 2019 !

Légal mais pas moral ? Certainement mais on vous répondra que le talent des managers est beaucoup mieux rémunéré ailleurs et qu'il faut absolument arrêter la fuite de ces talents à l'étranger. Et que ce talent passe par des réductions de personnels ou des recours à des licenciements préventifs n'est pas un problème puisque les actionnaires en voit immédiatement les résultats financiers.

Dans le même temps explique Oxfam : "... La primauté donnée à la rémunération des actionnaires a pour corollaire une baisse significative de l’investissement qui risque de fragiliser à terme la santé économique des entreprises françaises ..." 

C'était en partie le raisonnement du candidat Macron sur les déboires de l'industrie française : "Aujourd’hui, notre industrie souffre d’un triple déficit : " Un déficit d’investissement productif : les entreprises françaises ont consacré une part importante de leurs dépenses à l’investissement immobilier, au détriment des investissements de montée en gamme. Un seul exemple : 34 500 robots industriels, avec une moyenne d’âge élevée, sont en service en France, contre 62 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Un déficit d’innovation : sur la période 2010-2012, 41% de nos entreprises manufacturières ont introduit une innovation de produits et/ou de procédés contre 44% en Italie et 58% en Allemagne ..." en oubliant au passage de mentionner la redistribution particulièrement généreuse aux actionnaires.

BastaMag qui a analysé le rapport d'Oxfam précise : " Pour réformer ce « système économique qui va dans le mur » et creuse les inégalités, Oxfam et le Basic proposent une série de recommandations allant de l’encadrement des rémunérations à la réforme de la gouvernance des sociétés ..."

Nul doute, si la loi PACTE devait couvrir de telles modifications que,  le nouveau patron du Medef et celui de l'AFEP monteraient au créneau au nom de la libre entreprise française et de sa compétitivité dans la mondialisation. Nul doute que Bruno Lemaire et Gérald Darmanin comprendraient leurs inquiétudes et qu'une fois de plus, cette loi se limiterait à des recommandations ... non contraignantes.

Mais alors, les très grandes entreprises françaises ne seraient pas les premiers de cordée de l'investissement dans les industries du futur ? Il semble bien que non puisque le gouvernement va privatiser à tour de bras "pour investir sur les technologies de rupture" comme l'indiquait Bruno Lemaire. En résumé : cadeau au privé et à ses actionnaires d'une partie du patrimoine économique français. 

Il va s'en dire que les investissements issus de ces privatisations comme l'intelligence artificielle ou le stockage de données deviendront, à terme, la propriété des grandes entreprises pour le plus grand bonheur de leurs actionnaires !  

Bienvenue dans le monde heureux des actionnaires du CAC40


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