18 décembre 2007

Les socialistes et le marché


Résumé de l’intervention de Gérard Filoche le samedi 15 décembre, La Villette au 2° forum de la Rénovation

"Je réfléchissais en entendant le début de ce forum, aux trois grandes conventions de notre parti, en 1996, celles où nous votions, et j’essayais de comprendre le chemin parcouru en dix ans. Tous les intervenants, avant moi, ont parlé des rapports entre la puissance publique et le marché. Il a 12 ans, ici, à la Villette, nous avions voté pour mettre en oeuvre un nouveau contrôle sur les licenciements.

Nous l’avions voté aussi aux congrès de Brest et de Grenoble, y compris à une convention entreprise de 1998. C’était un bon exemple de volonté de la puissance publique de s’imposer au marché. Nous ne l’avons malheureusement pas fait. Un camarade important de notre parti m’avait dit : « Ce serait mettre en place une économie administrée ».

J’avais réfléchi à cela. J’avais failli lui répondre qu’un tel contrôle sur les licenciements avait existé en France entre 1975 et 1986 et que nous n’avions pas vécu pour autant sous une économie « administrée ». Il m’avait dit : « Gérard, tu comprends, si on fait cela, les salariés viendront manifester sous nos fenêtres contre les licenciements alors que ce n’est pas nous qui licencions, mais les patrons ». L’argument avait sa valeur. Mais les salariés venaient de toute façon manifester quand même sous nos fenêtres, pour nous demander d’intervenir contre les licenciements abusifs des patrons. Ils s’adressaient à juste titre à la puissance publique, car à quoi sert-elle si elle ne peut empêcher des licenciements abusifs, par exemple, de type boursier, dans des entreprises qui fonctionnent et qui font des profits ?

Par exemple Hawlett-Packard. Tout cela pour que des actionnaires gagnent égoïstement 2 ou 3 % de profits supplémentaires au détriment de l’intérêt général, de celui des fonds publics dont ils ont bénéficié, de celui des salariés qui se sont sacrifiés…

Mais je pensais lui répondre mieux encore : car je comprenais bien qu’il voulait repousser le spectre ancien et connu d’une économie bureaucratique étouffante, mais pour autant il ne faut pas perdre de vue que toute économie est administrée, le capitalisme est lui-même très administré, les multinationales sont dirigées par des « conseils d’administration », la Banque centrale européenne est aussi une lourde et bureaucratique administration, Bercy aussi « administre » de façon bureaucratique, etc.

Sarkozy n’hésite pas à administrer l’économie dans le détail, il se mêle de Sanofi-Aventis, ou du détail des heures supplémentaires, de la façon de les payer, et maintenant de la date et de la manière dont les entreprises doivent payer l’intéressement et la participation en avance, il se mêle même de la façon dont doivent être payées des primes exceptionnelles de fin d’année, du taux de ces primes, du rachat (volontaire ? sic) des compte épargne temps, des RTT, etc.

Sauf que c’est vrai, ils ont, eux, privatisé l’administration de l’économie, ce n’est pas, plus, pour le compte du public, des salariés, des citoyens, de la démocratie, non, c’est pour le compte des capitaux, des actionnaires, des rentiers…Et ils le dissimulent, ils mentent sur la réalité de leur politique, ils ne cessent de faire des lois, beaucoup de lois très contraignantes qui leur sont hyper favorables économiquement tout en prétendant qu’ils « libèrent » le travail, l’entreprise, etc.

Mme Laurence Parisot, ma favorite en la matière, affirme « la liberté de penser s’arrête là où commence le Code du travail »…. Ce n’est pas rien !

Elle prétend ne plus vouloir de loi, mais elle laisse faire toutes les lois de la droite qui démantèle le droit du travail… Elle ne veut plus de lois, de règle, d’état de droit dans l’entreprise… pour mieux imposer le pouvoir des actionnaires, des employeurs…

Elle appelle cela la « concurrence libre et non faussée », le marché sans république, sans civilisation… Tenez, de quoi s’agit-il ? Il y a un morceau de viande et deux humains, l’un des humains tue l’autre et s’empare du morceau de viande ! Ça c’est la concurrence libre et non faussée…

Puis quand même la civilisation s’avance, progresse, quelques règles sont mises en place, et au lieu de s’entretuer, les deux humains se partage la viande. Mais au début, le plus gros a le plus gros morceau.

Alors on invente encore des règles et des lois, et ils arrivent à se partager la viande moitié-moitié, sans violence.

Et enfin, quand la civilisation progresse encore, règles et lois permettent même de donner plus de viande au plus faible s’il en a le plus besoin… Ça, c’est la sécurité sociale !

Mme Parisot, elle, veut faire machine arrière toute. Elle a dit aussi « la vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il a cette loi ? ». C’est une forme d’apologie de la barbarie. Car l’histoire de l’humanité depuis l’aube des temps est l’histoire de la lutte contre la précarité. Contre la précarité de la faim, de la soif, du froid, de la souffrance.

Depuis 50 siècles, nous luttons contre la précarité de nos vies ! (et même de nos amours). Nous avons inventé l’agriculture pour lutter contre la précarité de la cueillette, nous avons inventé l’élevage pour lutter contre la précarité de la chasse…

Et voilà cette dame, patronne du Medef tout puissant, celui qui a déclaré la guerre aux 35 h, aux retraites à 60 ans, voilà donc Mme Parisot qui nous dit, là : « 50 siècles d’erreur, tout doit être précaire, vive Cromagnon ! ».

C’est une vraie philosophie à identifier et à affronter. Nous voulons de la protection sociale, de la redistribution des richesses, là ou elle veut de la capitalisation et de l’enrichissement individuels. C’est un clivage profond. C’est un choix de société. Il n’y a pas de « centre » entre ces deux conceptions.

Soit le marché domine la République, foule aux pieds ses règles et ses lois. Soit les lois de la République l’emportent sur le marché. Ou la politique, la démocratie dirigent l’économie. Ou c’est la loi de la jungle.

Mme Parisot mène sa bataille chaque jour, opiniâtrement, elle veut remplacer le droit du licenciement par la « séparabilité », ( elle dit c’est comme un divorce, mais c’est toujours le même qui part avec les meubles).

Elle veut remplacer la subordination (avec contrepartie en droit du travail) par la collaboration (mais on s’aperçoit vite que dans l’entreprise, on n’est pas tous dans le même bateau, quand le patron part avec le bateau et que vous restez arrimés au quai, à l’Anpe).

Elle veut remplacer les retraites par répartition par les retraites par capitalisation ( et ils nous y conduisent insidieusement en nous fixant des objectifs inatteignables comme de cotiser demain 41 ou 42 annuités..).

Elle ne veut plus de durée légale du travail, elle ne repousse pas seulement les 35 h, mais toute durée légale, les 40, les 39, les 35 h.

Elle ne veut plus de Smic, de mensualisation, de contrat à durée indéterminée, de droit du travail… Elle veut des contrats commerciaux de gré à gré, sans droits collectifs…

Sous la pression de Mme Parisot, des caisses noires de l’UIMM, la droite fait adopter en ce moment, aux Assemblées un nouveau code du travail passé à l’acide du libéralisme… Sous couvert d’une prétendue « recodification » à « droits constants », ils vident le Code de sa substance protectrice au détriment de 16 millions de salariés, pourtant c’est un droit intime, un droit essentiel, un droit quotidien, même pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est un droit qui contribue à fixer les salaires, les durées du travail, qui s’impose au marché, qui est décisif pour déterminer le coût du travail, les salaires…

Nous ne voulons pas d’une concurrence libre et non faussée, qui exclue le droit du travail. Même au plan international, nous voulons que l’OMC et l’OIT soient deux organismes qui travaillent à parité, qui disposent tous deux des mêmes droits de sanction pour imposer que la droit du travail soit constitutif du droit de la concurrence !

Un droit du travail constitutif du droit de la concurrence ! Dans le monde et chez nous. Et non pas un droit du travail écarté, annihilé, démantelé, soumis aux aléas du marché, aux seules règles de la guerre économique, des règlements boursiers, de la rapacité des financiers.

C’est ce qui nous différencie, nous autres socialistes des capitalistes : nous faisons des lois républicaines qui servent les humains qui produisent les richesses et ne les soumettent pas a la seule exploitation. C’est ainsi qu’avec les socialistes, la gauche, nous sommes passés en 70 ans des 40 h aux 39 h et aux 35 h en démontrant en pratique que c’était un progrès, que c’était réaliste, qu’on pouvait à la fois, dans la vie réelle, en 70 ans, baisser la durée du travail, augmenter la productivité, et augmenter les salaires, partager mieux donc, les richesses produites.

Pourquoi irions nous en arrière comme le veut Mme Parisot, et tous les néo libéraux intégristes au pouvoir ? C’est avec les socialistes qu’on a eu les 40 h, avec les socialistes qu’on a eu les 39 h, les 35 h, avec les socialistes qu’on a eu la retraite à 60 ans, avec les socialistes qu’on a avancé dans le droit du travail et des salariés, abandonner cela serait abandonner notre histoire, notre raison d’être, abandonner les plus beaux de nos combats, notre choix de société, on ne va pas le faire, n’est ce pas ?"


Gérard FILOCHE

3° Forum de la rénovation du Parti socialiste Dimanche 20 janvier à Paris
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