« Au cœur du Medef - chronique d’un fin annoncée » C'est le titre du dernier ouvrage d'Eric Verhaeghe qui n'avait pas hésité en janvier de claquer la porte Medef pour désaccord complet avec la politique menée par Laurence Parisot depuis 2008
En janvier dernier nous vous présentions « Jusqu'ici tout va bien » (1) le premier livre d'Eric Verhaeghe écrit, suite à sa démission de l'APEC et de tous les mandats qu'il exerçait au nom du Medef. Dans cet ouvrage, il égratignait certaines méthodes et positions de l’organisation de Laurence Parisot. Mais l'essentiel était une remise en cause d'idées reçues et dogmes dans les domaines économiques.
Lors d'une rencontre, il avait évoqué l'hypothèse d'un futur autre livre consacré exclusivement au Medef et nous avait promis une interview en cas de sortie. Il a tenu parole, puisque nous l'avons rencontré à nouveau ce mois ci, pour la sortie de : « Au cœur du Medef - chronique d’un fin annoncée » où l'on découvre les dessous d'une organisation en voie de sclérose et une Laurence Parisot opportuniste, autoritaire et peu efficace.
Slovar : Bonjour Eric Verhaeghe. Tout d'abord, comment allez-vous depuis notre dernier entretien consécutif à la sortie de votre premier livre ?
Eric Verhaeghe : Je suis très en forme. Et à titre personnel, puisque je me suis marié cet été, et à titre professionnel, puisque je me lance dans l'aventure d'une création d'entreprise.
Slovar : Dans « Jusqu'ici tout va bien » le fonctionnement du Medef où vous avez évolué pendant trois ans et demi ne représentait que quelques pages. Votre dernier livre lui est entièrement consacré. On va enfin connaître la face cachée du Medef et de ses dirigeants ?
Eric Verhaeghe : Pas forcément. L'esprit du livre n'est certainement pas de laver du linge sale, et ceux qui y cherchent des polémiques croustillantes seront déçus. Cela fait d'ailleurs le désespoir de mon éditeur, qui préconise de longues polémiques pour lancer le livre. Malgré cela, je ne souhaite pas me placer sur un plan personnel. Depuis ma démission de janvier, je n'ai guère eu l'occasion d'expliquer les raisons de mon départ. J'ai souhaité prendre la plume pour expliquer ces raisons, en montrant je crois très clairement qu'elles répondent à des sujets de fond et n'ont rien à voir avec des questions de personnes.
Slovar : Vous semblez indiquer que Laurence Parisot et le Medef auraient été, malgré ce qu'on aurait pu croire, une force d'inertie vis à vis de Nicolas Sarkozy et n'aurait pas honoré certains engagements prévus ?
Eric Verhaeghe : Ce n'est pas exactement cela. Je dis plutôt que, depuis les lois Auroux, les gouvernements, de gauche comme de droite, ont mené une politique assez cohérente de développement du dialogue social dans l'entreprise et d'affaiblissement des structures paritaires. Nicolas Sarkozy a voulu accélérer l'histoire en proposant des réformes de fond comme la mise en place d'une sécurité sociale professionnelle, qui rencontre l'agrément de syndicats de salariés, comme la CGT par exemple.
Paradoxalement, c'est le Medef qui s'est montré le plus rétif à ces évolutions, et qui les a toutes entravées, voire noyées. Le plus caricatural fut sans doute la réforme de la formation professionnelle, que le Medef a enterrée alors qu'elle constitue un enjeu crucial pour la compétitivité des entreprises. Le paradoxe est là : alors qu'un président très volontaire était élu, alors que les syndicats de salariés jouaient le jeu, comme sur la réforme de la représentativité, le Medef s'est assez rapidement cramponné à une conception CNPF du dialogue social.
Slovar : Le Medef aurait donc volontairement torpillé les accords sur la modernisation du marché du travail et celui de la représentativité au profit de vielles querelles et au nom du conservatisme ?
Eric Verhaeghe : Je modérerais un peu le propos, mais il correspond globalement à une vérité. Il y a une sorte de force centripète au Medef, et le centre, c'est le CNPF de toujours, celui qui fut créé par De Gaulle en 1945 pour gérer le paritarisme. En transformant le CNPF en Medef, Seillères et Kessler ont tenté de négocier un virage historique du mouvement patronal. Force est de constater que le virage est manqué.
Slovar : Pensez-vous que l'audience accordée au Medef par les pouvoirs publics et les média ne soit pas en rapport avec sa représentativité ?
Eric Verhaeghe : Personne n'en sait rien. A la différence de ce qui existe pour les syndicats de salariés où, depuis la loi du 20 août 2008, la capacité à négocier est liée aux résultats aux élections, la représentativité du Medef est restée sur les bases gaulliennes de la reconnaissance par le gouvernement. Mais personne ne peut prouver que les chefs d'entreprise se reconnaissent dans les positions frileuses et peu imaginatives du Medef.
Slovar : Laurence Parisot ne cesse de pousser le gouvernement et les partis politiques, a laisser plus de champs à la négociation, entre partenaires sociaux. Mais quelle est réellement l'attitude du Medef vis à vis des syndicats de salariés ?
Eric Verhaeghe : En fait, je raconte dans mon livre comment le Medef a refusé d'envisager un système à l'allemande où l'Etat n'aurait aucune compétence en matière de dialogue social. Cette idée épouvante le patronat, qui ne pourrait plus mettre les négociations en échec, en attendant que l'Etat arbitre.
Slovar : Le Medef a été un des promoteurs du report de l'âge légal de la retraite au fait que cela permettrait aux salariés âges de trouver plus facilement un emploi. Pouvez-nous dire ce qu'on en disait en off au Medef ?
Eric Verhaeghe : Pas grand chose en réalité. A la base, tout le monde a constaté que, à périmètre de cotisations constant, l'âge minimum de départ à la retraite nécessaire à atteindre pour rétablir l'équilibre financier du système se situait autour de 64 ans. Tout le monde le sait, et tout le monde sait que le relèvement de l'âge de la retraite à 64 ans effectifs est inévitable. Je sais que cela vous agace, mon cher Slovar, mais la science actuarielle est têtue. Le relèvement à 64 ans est incontournable, sauf à élargir l'assiette de cotisations en fiscalisant les recettes de la sécurité sociale. Mais ce scénario-là implique l'étatisation définitive de la Sécurité Sociale.
Slovar : Permettez-moi de préférer le deuxième scénario au premier en ce qui concerne l'âge légal de la retraite. Du moins tant que le Medef ne tiendra pas ses engagements sur l'emploi des seniors, ce qui vous l'avouerez est loin d'être gagné ! Mais peut être aurons-nous l'occasion d'en reparler ?
Eric Verhaeghe : Avec plaisir
Merci Eric pour cette interview et bonne chance à vous et au livre
Interview réalisée le 3 octobre 2011
(1) Extraits en PDF
« Au cœur du Medef - chronique d’un fin annoncée » Eric Verhaeghe Editions Jacob-Duvernet - Présentation de l'éditeur
« Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir en mai 2007 avec un programme de réformes sociales où le Medef doit jouer un rôle essentiel : mise en place d'une « flexisécurité à la française, recomposition du paysage syndical, remise à plat des 35 heures. A ce moment commence à s'écrire une pièce à rebondissements, une sorte de marivaudage où n'est pas forcément cocu celui qu'on croit. Entre fâcheries patronales, affaire de l'UIMM, crise de 2008, et autres revirements de situation, Eric Verhaeghe raconte de l'intérieur comment la France a manqué le virage de sa réinvention sociale pendant plus de 3 années intenses, faites de tergiversations, de malentendus et d'hésitations. Reste une question majeure : l'héritage du CNPF que le Medef incarne est-il encore adapté aux besoins de notre temps ? Est-il capable de porter la vision dont la France a besoin pour demain ? En lui demandant de réformer le monde pour lequel il a été inventé, ne lui demande-t-on pas, tout simplement, de scier la branche sur laquelle il est assis ? Avec des mots simples et percutants, et après le succès de Jusqu'ici tout va bien, Eric Verhaeghe propose un autre modèle pour demain »
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Editions Jacob-Duvernet
Lors d'une rencontre, il avait évoqué l'hypothèse d'un futur autre livre consacré exclusivement au Medef et nous avait promis une interview en cas de sortie. Il a tenu parole, puisque nous l'avons rencontré à nouveau ce mois ci, pour la sortie de : « Au cœur du Medef - chronique d’un fin annoncée » où l'on découvre les dessous d'une organisation en voie de sclérose et une Laurence Parisot opportuniste, autoritaire et peu efficace.
Slovar : Bonjour Eric Verhaeghe. Tout d'abord, comment allez-vous depuis notre dernier entretien consécutif à la sortie de votre premier livre ?
Eric Verhaeghe : Je suis très en forme. Et à titre personnel, puisque je me suis marié cet été, et à titre professionnel, puisque je me lance dans l'aventure d'une création d'entreprise.
Slovar : Dans « Jusqu'ici tout va bien » le fonctionnement du Medef où vous avez évolué pendant trois ans et demi ne représentait que quelques pages. Votre dernier livre lui est entièrement consacré. On va enfin connaître la face cachée du Medef et de ses dirigeants ?
Eric Verhaeghe : Pas forcément. L'esprit du livre n'est certainement pas de laver du linge sale, et ceux qui y cherchent des polémiques croustillantes seront déçus. Cela fait d'ailleurs le désespoir de mon éditeur, qui préconise de longues polémiques pour lancer le livre. Malgré cela, je ne souhaite pas me placer sur un plan personnel. Depuis ma démission de janvier, je n'ai guère eu l'occasion d'expliquer les raisons de mon départ. J'ai souhaité prendre la plume pour expliquer ces raisons, en montrant je crois très clairement qu'elles répondent à des sujets de fond et n'ont rien à voir avec des questions de personnes.
Slovar : Vous semblez indiquer que Laurence Parisot et le Medef auraient été, malgré ce qu'on aurait pu croire, une force d'inertie vis à vis de Nicolas Sarkozy et n'aurait pas honoré certains engagements prévus ?
Eric Verhaeghe : Ce n'est pas exactement cela. Je dis plutôt que, depuis les lois Auroux, les gouvernements, de gauche comme de droite, ont mené une politique assez cohérente de développement du dialogue social dans l'entreprise et d'affaiblissement des structures paritaires. Nicolas Sarkozy a voulu accélérer l'histoire en proposant des réformes de fond comme la mise en place d'une sécurité sociale professionnelle, qui rencontre l'agrément de syndicats de salariés, comme la CGT par exemple.
Paradoxalement, c'est le Medef qui s'est montré le plus rétif à ces évolutions, et qui les a toutes entravées, voire noyées. Le plus caricatural fut sans doute la réforme de la formation professionnelle, que le Medef a enterrée alors qu'elle constitue un enjeu crucial pour la compétitivité des entreprises. Le paradoxe est là : alors qu'un président très volontaire était élu, alors que les syndicats de salariés jouaient le jeu, comme sur la réforme de la représentativité, le Medef s'est assez rapidement cramponné à une conception CNPF du dialogue social.
Slovar : Le Medef aurait donc volontairement torpillé les accords sur la modernisation du marché du travail et celui de la représentativité au profit de vielles querelles et au nom du conservatisme ?
Eric Verhaeghe : Je modérerais un peu le propos, mais il correspond globalement à une vérité. Il y a une sorte de force centripète au Medef, et le centre, c'est le CNPF de toujours, celui qui fut créé par De Gaulle en 1945 pour gérer le paritarisme. En transformant le CNPF en Medef, Seillères et Kessler ont tenté de négocier un virage historique du mouvement patronal. Force est de constater que le virage est manqué.
Slovar : Pensez-vous que l'audience accordée au Medef par les pouvoirs publics et les média ne soit pas en rapport avec sa représentativité ?
Eric Verhaeghe : Personne n'en sait rien. A la différence de ce qui existe pour les syndicats de salariés où, depuis la loi du 20 août 2008, la capacité à négocier est liée aux résultats aux élections, la représentativité du Medef est restée sur les bases gaulliennes de la reconnaissance par le gouvernement. Mais personne ne peut prouver que les chefs d'entreprise se reconnaissent dans les positions frileuses et peu imaginatives du Medef.
Slovar : Laurence Parisot ne cesse de pousser le gouvernement et les partis politiques, a laisser plus de champs à la négociation, entre partenaires sociaux. Mais quelle est réellement l'attitude du Medef vis à vis des syndicats de salariés ?
Eric Verhaeghe : En fait, je raconte dans mon livre comment le Medef a refusé d'envisager un système à l'allemande où l'Etat n'aurait aucune compétence en matière de dialogue social. Cette idée épouvante le patronat, qui ne pourrait plus mettre les négociations en échec, en attendant que l'Etat arbitre.
Slovar : Le Medef a été un des promoteurs du report de l'âge légal de la retraite au fait que cela permettrait aux salariés âges de trouver plus facilement un emploi. Pouvez-nous dire ce qu'on en disait en off au Medef ?
Eric Verhaeghe : Pas grand chose en réalité. A la base, tout le monde a constaté que, à périmètre de cotisations constant, l'âge minimum de départ à la retraite nécessaire à atteindre pour rétablir l'équilibre financier du système se situait autour de 64 ans. Tout le monde le sait, et tout le monde sait que le relèvement de l'âge de la retraite à 64 ans effectifs est inévitable. Je sais que cela vous agace, mon cher Slovar, mais la science actuarielle est têtue. Le relèvement à 64 ans est incontournable, sauf à élargir l'assiette de cotisations en fiscalisant les recettes de la sécurité sociale. Mais ce scénario-là implique l'étatisation définitive de la Sécurité Sociale.
Slovar : Permettez-moi de préférer le deuxième scénario au premier en ce qui concerne l'âge légal de la retraite. Du moins tant que le Medef ne tiendra pas ses engagements sur l'emploi des seniors, ce qui vous l'avouerez est loin d'être gagné ! Mais peut être aurons-nous l'occasion d'en reparler ?
Eric Verhaeghe : Avec plaisir
Merci Eric pour cette interview et bonne chance à vous et au livre
Interview réalisée le 3 octobre 2011
(1) Extraits en PDF
« Au cœur du Medef - chronique d’un fin annoncée » Eric Verhaeghe Editions Jacob-Duvernet - Présentation de l'éditeur
« Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir en mai 2007 avec un programme de réformes sociales où le Medef doit jouer un rôle essentiel : mise en place d'une « flexisécurité à la française, recomposition du paysage syndical, remise à plat des 35 heures. A ce moment commence à s'écrire une pièce à rebondissements, une sorte de marivaudage où n'est pas forcément cocu celui qu'on croit. Entre fâcheries patronales, affaire de l'UIMM, crise de 2008, et autres revirements de situation, Eric Verhaeghe raconte de l'intérieur comment la France a manqué le virage de sa réinvention sociale pendant plus de 3 années intenses, faites de tergiversations, de malentendus et d'hésitations. Reste une question majeure : l'héritage du CNPF que le Medef incarne est-il encore adapté aux besoins de notre temps ? Est-il capable de porter la vision dont la France a besoin pour demain ? En lui demandant de réformer le monde pour lequel il a été inventé, ne lui demande-t-on pas, tout simplement, de scier la branche sur laquelle il est assis ? Avec des mots simples et percutants, et après le succès de Jusqu'ici tout va bien, Eric Verhaeghe propose un autre modèle pour demain »
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